Dans la plupart des régions méditerranéennes, l'irrigation est une pratique très ancienne et son histoire se confond presque avec celle de l'agriculture. Mais depuis quelques décennies, la grande hydraulique, récemment apparue, jouit d'un engouement particulier et bénéficie d'importants moyens financiers, institutionnels et humains. Elle est perçue, de plus en plus, comme une voie privilégiée pour réguler, diversifier et accroître les productions agricoles, notamment dans les zones à tradition d'agriculture pluviale, pendant que la petite hydraulique traditionnelle, parfois reléguée au second plan, continue à répondre aux besoins des zones arides où l'irrigation est incontournable. L'analyse de l'expérience tunisienne montre que malgré leurs apports irremplaçables, la petite hydraulique et l'irrigation traditionnelle connaissent des limites et que le passage 'de l'eau du ciel à l'eau d'Etat' est une complexe et véritable mutation. La lenteur des transformations nécessaires s'expliquerait par le décalage qui existe entre la logique technicienne de l'Etat-aménageur et les rationalités des agriculteurs sollicités. La mutation des systèmes productifs qu'implique la réussite des politiques d'irrigation génère des risques techniques que les fellahs n'ont pas encore appris à courir et des incertitudes économiques et financières qu'ils n'ont pas les moyens d'assumer, surtout dans les zones d'agriculture pluviale où l'eau ne constitue pas toujours un véritable facteur limitant pour les productions vivrières.